Dévoiler le potentiel de la matière
André Boisvert
André Boisvert — La terre et le feu : rites de matière, lumières de récupération
Chez André Boisvert, l’œuvre naît sur le terrain. Elle prend appui sur un savoir de forestier devenu paysagiste-sculpteur, puis landartiste : lecture des rythmes du sol, entente avec les saisons, respect des cycles du vivant. Son langage procède d’une économie de gestes — poser, dresser, enlacer, brûnir — qui transforme le site en atelier à ciel ouvert. Ici, le jardin « à l’anglaise » n’est plus style mais méthode d’écoute ; les interventions, souvent éphémères, s’accordent à la morphologie du lieu jusqu’à ce que le paysage réponde.
Cette pratique s’inscrit dans une histoire locale du land art — Créations sur-le-champ à Mont-Saint-Hilaire, prix du public en 2007, œuvres mêlant sculptures végétales et éléments recyclés — mais elle excède la simple installation in situ : l’artiste y cherche un rite de passage entre la terre et l’image. Ses chantiers deviennent des tableaux vivants : alignements, cercles, strates, « crop circle » ; autant de figures premières qui marquent, sans blesser, la peau du territoire.
Quand l’atelier quitte la prairie, il allume la matière : verre, laiton, argent, pièces trouvées, bouteilles réemploient la lumière et recomposent un foyer — « œuvres lumineuses » où la sculpture sert l’éclairage d’ambiance. Ce sont des objets-seuils : d’un côté, la récupération industrielle (vis, fil, douilles, métal patiné) ; de l’autre, une lueur presque domestique, baroque ou art déco, parfois steampunk ; entre les deux, l’inflexion d’un geste qui sauve la pièce usée en lui donnant l’éclat d’un temps retrouvé.
Dans ORANGE — Faim de rituel (2025), Boisvert a déplacé cette dramaturgie vers la table — partage, célébration, offrande — pour une installation située dans le jardin du monastère : une manière de donner forme à la communauté à même la trame du lieu. Le parcours, pensé par les commissaires, situait son travail au milieu d’actions et de lectures, confirmant l’assise relationnelle de sa pratique : le rituel n’y est pas décor mais dispositif de présence.
À ESSARTS (2012), l’œuvre Epurarium exposait déjà cette double appartenance : sculpture en résonance avec le site, référée explicitement au land art et à ses processus de croissance, d’érosion, d’apparition. Là encore, la matière fait signe sans grandiloquence ; elle prouve par la tenue des assemblages et la justesse des rapports.
On comprend alors le titre que mérite son travail : la terre et le feu. La terre : matériaux pauvres, végétaux, pierres, recyclage, formes archétypales (cercle, alignement, axe). Le feu : oxydations, patines, verre illuminé, braises imaginaires qui s’allument dans des assemblages modestes et précis. Entre les deux, une poétique de la réparation : la ferraille cesse d’être rebut, la bouteille devient lampe, la parcelle redevient paysage. Boisvert ne monumentalise pas ; il ranime. Ce qui reste n’est pas un objet spectaculaire, mais une qualité d’attention : on quitte l’œuvre avec la sensation qu’un foyer s’est posé dans l’espace — juste assez de lumière pour habiter la nuit.
