Dévoiler le potentiel de la matière
Geneviève LeBel
Geneviève LeBel — Anatomies de papier, forêts intérieures
Chez Geneviève LeBel, la figure ne s’érige pas contre la matière : elle émerge d’elle. Le papier — non pas support mais substrat vivant — se gauchit, se plisse, se feuillette ; il retient dans ses fibres une mémoire végétale. Ce qui affleure n’est jamais une “statue” au sens classique, mais une géologie du corps : bustes lacunaires, têtes relevées vers la lumière, silhouettes éclatées dont les strates évoquent tour à tour écorces, nids, alvéoles. LeBel travaille au plus près du cycle du vivant : de l’arbre à la pâte, du fragment à la forme, de la ruine à la naissance.
L’enfance traverse l’œuvre, non comme sujet illustratif mais comme puissance de reprise : un élan premier, ludique et grave, qui accepte l’imperfection et la transforme en nécessité plastique. On lit, dans les cicatrices d’adhésif, les sutures de plâtre et les bandes déchirées, une grammaire du pansement plutôt que de la finition. Cette esthétique du soin — bander, assembler, hisser — donne aux figures une vulnérabilité active : elles tiennent non pas par fermeture mais par hospitalité aux failles. Leur verticalité, souvent très épurée (piédestaux minces, tiges d’acier, fût cylindrique), frôle l’architecture : le corps devient colonne, la tête belvédère, la cage thoracique charpente. Ce sont des paysages intérieurs.
La lumière est partie prenante du vocabulaire. Sur les surfaces blanches ou grèges, les froissés captent un clair-obscur précis, presque cartographique ; dans le carton alvéolaire, la coupe crée des micro-grottes où l’ombre se dépose. L’œuvre se lit en mouvement : un pas de côté suffit à déplacer le relief, à faire vibrer la peau du papier. À cette cinétique douce répond un besoin de dépassement inscrit dans les postures — têtes qui se redressent, torses qui s’ouvrent — comme si chaque pièce rejouait le moment fragile où l’on choisit de croître malgré tout.
Par ses choix de matériaux — papier, plâtre, terre, résine — LeBel assume une économie pauvre et exigeante (on pense à l’Arte Povera, à Eva Hesse pour la précarité maîtrisée, à Kiki Smith pour la corporalité à vif). Mais l’enjeu n’est ni la citation ni la nostalgie : il s’agit d’accorder l’organique et le construit, de faire résonner l’esprit des arbres dans l’architecture du buste. Là réside la force singulière de ce travail : il conjugue fragilité et puissance, ombre et lumière, non pour les résoudre mais pour tenir la tension. On sort de ces formes avec l’impression rare d’avoir approché une éthique du vivant : ce qui est vulnérable n’est pas ce qui cède, c’est ce qui laisse passer.




