Dévoiler le potentiel de la matière
Janna Yotte
Janna Yotte — Accueillir l’écorché, inventer des êtres
Chez Janna Yotte, l’assemblage n’est pas une technique : c’est une éthique de l’accueil. Elle reçoit des fragments — images anatomiques, coupes végétales, textures animales, éclats d’objets — et les héberge jusqu’à ce qu’ils consentent à une nouvelle coexistence. De là surgissent des êtres inédits, ni allégories ni chimères ornementales, mais des présences immatérielles et tactiles à la fois, où l’on reconnaît l’écorché, oui, mais un écorché apaisé : la blessure n’est pas effacée ; elle a changé de fonction. C’est le sourire calme qui revient de l’épreuve — « on ne guérit pas la blessure, on en revient » — et que la composition, patiemment cousue, rend habitable.
Le papier (découpé, reconstitué, collé) donne la peau ; le fil (broderie, perles) la suture ; le collage numérique pousse plus loin la greffe d’images, sans perdre la gravité du geste manuel. Chez Yotte, la matérialité est toujours soignante : elle répare en exposant ce qui répare. L’artiste le dit d’ailleurs à sa manière : elle “sélectionne, transforme et assemble des sources matérielles pour créer de nouveaux êtres”, et son univers réunit collages papier, perles et broderies, mais aussi des sculptures serpentines faites de milliers d’ongles artificiels — féminité jusqu’au bout des ongles, littéralement transfigurée en matière sculpturale.
Ce qui frappe, au-delà de l’invention formelle, c’est la teneur existentielle du travail. Dans la série Fleshed out / Le fruit de mes entrailles, l’artiste parle d’“peaux abandonnées”, d’images prélevées dans des volumes de biologie pour façonner des êtres qui rejouent nos transformations intimes ; serpents et champignons, figures tantôt nourricières tantôt toxiques, y campent la part ambivalente de nos métamorphoses. L’œuvre ne résout pas les contraires ; elle tient la tension, et nous la rend supportable.
Cette hospitalité s’étend à la sculpture et à l’installation : Yotte déplace la peau du papier vers le volume, fait dialoguer l’organique et le manufacturé, assume le bricolage érudit d’une artiste venue de l’image (photographie/graphisme) et passée au collage à partir de 2017 — trajectoire où l’œil de la composition rencontre la patience du patient. Dans ce monde, la main n’est pas seulement habile ; elle est guérisseuse au sens symbolique : elle remet en circulation ce qui, séparé, souffrait d’isolement. La douceur est ici une force structurante, pas une atténuation.
Au fond, l’univers de Janna Yotte propose une féminité d’architecture : non pas l’ornement, mais la charpente de l’attention, le plan d’un refuge où l’on peut enfin respirer. Le collage, la broderie, la suture — autant d’outils de relation. Et si ses créatures semblent venues d’ailleurs, c’est qu’elles sont exactement d’ici : elles portent en clair l’écriture de nos remaniements, de nos pertes transmutées en liens.




