Dévoiler le potentiel de la matière
Martine Bertrand
Martine Bertrand —
Chez Martine Bertrand, regarder revient à se relire depuis l’enfance. Non pas l’enfance décorative, mais une posture libre, souveraine, où la main fabrique un monde qui nous accueille — comme pour recadrer le réel. Ses œuvres procèdent d’une grammaire du texte tactile : fils, papiers, textiles, broderies, collages et empreintes composent des pages sans mots où l’on joue, rêve, danse — et où, quand l’artiste se met à distance, le bruit du monde paraît soudain ridicule, privé de son empire.
Cette poésie a une histoire matérielle. Formée par des décennies de gestes liés au costume et au textile, Bertrand a transposé l’intelligence des étoffes dans une pratique visuelle qui tisse souvenir, matière, mouvement. La couture, ici, n’est pas une anecdote : c’est une syntaxe. Les points sont des virgules, les ourlets des marges, les plis des respirations. De là naît un récit sans narration, d’une lisibilité immédiate et d’une profondeur lente — l’art de tenir ensemble fragilité et tenue, jeu et justesse. (Parcours textile et costume, puis arts visuels ; expositions et pratiques mêlant broderie, collage, dessin/estampe).
On comprend alors la tonalité singulière de son œuvre : témoigner depuis l’enfance non pour s’y réfugier, mais pour déverrouiller le regard. Aux « histoires tirées par les fils », Bertrand oppose une éthique du fil : rien n’est décoratif, tout relie. La surface devient peau mémoire ; les matériaux, des voix ; les motifs, des indices — oiseaux, plumages, gestes domestiques réinventés — par lesquels la vie ordinaire trouve sa forme juste. Cette fidélité au vivant n’empêche pas la porosité aux autres arts (scène, cinéma), où l’artiste met la matière au service d’une présence qui ne se prouve pas, elle a lieu. (Parcours d’expositions récentes ; ancrage textile ; collaborations scéniques et de cinéma).
Ce que ses œuvres donnent, au fond, c’est un droit : le droit de regarder comme un enfant — non pas naïf, mais intègre. Ce droit implique une responsabilité : garder la main légère et exacte, afin que l’image reste habitable. Chez Bertrand, l’art n’apaise pas en lissant ; il dégage un espace où le réel se décante. Alors, oui, le vacarme s’éloigne ; demeurent l’aisance, la netteté, et cette joie intranquille qui nous remet en mouvement.




