Dévoiler le potentiel de la matière
François Mathieu
François Mathieu
Mon art est généralement abstrait, ce qui permet à l’objet d’exister pour lui-même, sans devoir être la copie reconnaissable d’une autre chose. De ce fait, l’art abstrait est pour moi plus concret encore car, mieux que de représenter, il existe souverainement, dans sa matière et dans sa présence. Cela étant, des références diverses se pointent en cours de route et je les accueille volontiers. Ce sont des clins d’œil involontaires surgissant des manipulations en atelier, alors que je cherche à produire un objet insolite ou porteur de merveilleux.
Les manipulations sont donc au cœur de ce que je cherche. Je vais certes faire des croquis parfois mais les scénarios restent ouverts. La sculpture étant une suite de longues étapes, les résistances s’amènent tous les jours. Il faut les solutionner une à une, se donner des directives pour arriver à fermer une boucle puis anticiper des choses qui n’arriveront peut-être pas. Ensuite, l’objet a le droit d’exister, en dépit des idées de départ que j’aimerais aussi matérialiser. C’est un arbitrage continuel où je suis témoin de nouvelles hypothèses venues tantôt de mes intentions mais aussi de ce que j’observe, se déployant à mesure devant moi.
N’étant pas totalement anonymes, les matières recyclées amènent plus de variables encore dans le travail de création. Je pense que la plus-value de telles œuvres tient en partie des matières dont elles sont faites, lesquelles sont essentiellement des objets qui avaient une vie avant qu’on les revisite.
Mon intérêt pour les formes rondes me suit encore au centre de recyclage, alors que je me demande ce que je pourrais faire tourner ou qu’est-ce qui serait déjà rond mais inachevé, d’un certain point de vue. Devant moi, une pleine cour de beaux tonneaux de bois dont les douves sont aussi vendues en vrac. J’en ai rapporté une brassée pour les apprivoiser tout doucement et tenter des façonnages. M’accompagnent alors les fragrances de chêne blanc, de bois brûlé et même de vin, par moments.
J’ai d’abord mis en chantier un fût maison, plus conique qu’un tonneau conventionnel et d’un diamètre encore indéterminé. C’est un lent processus pendant lequel les choses ont tout le temps voulu pour s’annoncer. D’autre part, une vieille matrice de pin rouge traînait dans la grange. Je l’avais préparée il y a quelques années, afin de façonner dessus une sculpture de laiton. Cette matrice n’avait plus d’existence, en quelque sorte, puisqu’une œuvre plus légitime s’était appuyée dessus pour trouver sa forme. D’un diamètre de 15 pouces, la sphère de bois sculptée manuellement allait dicter le rayon du fût de chêne à réaliser, les deux allaient éventuellement s’arrimer ensemble. Comment? Pourquoi? L’avenir allait s’occuper de lui-même.
Provenant d’une autre procure de matériaux recyclés, un miroir de magasin en plastique attendait de devenir lui aussi quelque chose d’autre. D’un diamètre de 19 pouces, il allait servir à son tour de matrice, cette fois pour y couler du béton. De diamètres différents, les sphères sont toujours compatibles et s’ajustent apparemment l’une dans l’autre ou en continuité, comme des yeux dans des orbites ou quelque autre élément de mécanique. On y discerne des oscillements virtuels, sans compter le balancement de la sculpture dans son appui au sol.
Ajoutons un élément important. Dès qu’une sculpture repose sur une base arrondie, son rapport au sol devient tout à coup très fébrile, à la merci de son centre de gravité. Une œuvre a beau s’être échafaudée sur des semaines de labeur, dès qu’elle présente une forme asymétrique, nul ne sait quelle sera sa posture lorsqu’elle sera harnachée au berceau. Si ça n’a aucun bon sens, on avisera. Sinon, on aura été chanceux que ce ne soit ni vraiment vertical ni trop statique. C’est un peu ce que dit le titre, comme quoi les choses arrivent par elles-mêmes : ainsi va la vie et la mort des choses.




